Wednesday, September 25, 2019

Atié Ménélik rend un second jugement

Guèbrè Sellassié, Chronique du règne de Mémélik, roi des rois d'Ethiopie, 1930

CHAPITRE XXI, jugement (t. I, pp. 111-112)


Après cela, on découvrit une chose merveilleuse et rare. Des hommes faux et menteurs, ourdissant un complot contre l'alèqa Kidanè-Ouald (1), écrivirent en son nom à Atiè Théodoros une lettre qui était ainsi conçue: "Que cette lettre parvienne au roi des rois Théodoros. Djan-hoi, moï, votre esclave (2), j'espère que vous viendrez ici. Venez donc vite."

Les ennemis de l'alèqa Kidanè-Ouald, confiant cette lettre à un homme payé pour cela, lui dirent: "Prends cette lettre et va. A partir de Guedèm (3), tu répondras à tous ceux qui t'interrogeront : L'alèqa Kidanè-Ouald m'envoie à Atiè Théodoros pour lui remettre cette lettre. De plus il m'a dit : Pars en secret et ne dis rien à personne, pas même à tes parents."

En arrivant à Guedèm, il commença donc à répondre selon les instructions qu'il avait reçues. Les gens du pays, comprenant que c'était une affaire regardant le gouvernement, l'arrêtèrent et le présentèrent, lui et sa lettre, au roi. Celui-ci lui demanda: "D'où es-tu? Qui t'a envoyé?"

Il répondit: "C'est mon maître, l'alèqa Kidanè-Ouald; je suis l'un de ses serviteurs." Le roi continua: "Quels sont les autres serviteurs de l'alèqa Kidanè-Ouald? Dis-moi leurs noms." Le messager donna les noms de cinq hommes. Alors le roi ordonna de les faire venir tous les cinq. Lorsqu'ils furent arrivés, il les fit interroger séparément.

Le lendemain, à son tribunal, il fit comparaître le porteur de la lettre et manda l'un des serviteurs de l'alèqa à qui il dit: "Connais-tu cet homme?" L'autre répliqua : " Je ne le connais pas; c'est aujourd'hui que je le vois pour la première fois." Mais le messager s'écria: "Il me connaît et je le connais!" Alors le roi: " Puisque tu le connais, dis-moi comment il s'appelle." Celui-ci donna le nom d'un autre, car il ne le connaissait pas de figure, mais seulement par ouï-dire. On fit venir ensuite un autre homme et, cette fois encore, il se trompa de nom.

Ayant fait appeler les cinq serviteurs qui comparurent ensemble, le roi demanda: " Connaissez - vous cet homme?" Ils répondirent: "Nous ne le connaissons pas, nous ne l'avons jamais vu avant ce jour." Mais il réplqua: "Moi, je les connais." Alors le roi: " Puisque tu les connais, apppelle-les donc chacun par son nom." Or il donna à un le nom de l'autre, de sorte que ces noms ne concordaient pas avec les personnes. C'est ainsi que sa ruse fut découverte. A ce moment, le peuple, tout heureux, loua le Seigneur de ce qu'il lui avait donné un juge plein d'équité et de sagesse.

Or il fut reconnu que le complot avait été ourdi par les Tsègge - Lidj. (4)

Quant au porteur de la fausse lettre, le roi le condamna à être flagellé. (5)

L'Alèqa Kidanè-Ouald fut nommé chef de l'église de Mariam à Ennèoari(6) et reçut en outre le titre honorable de liqè-kahenat du Choa. (7)

Cette anneé-là, les dèbtèrotch(8) de l'alèqa Kidanè-Ouald chantèrent ce qui suit le Samedi saint(9) : "Par son règne il nous a sauvés, afin que son ennemi soit confondu et qu'il ne trouve rien à dire contre nous. Personne ne nous séparera de l'amour de Sahlè-Mariam.(10)


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(1) "Alliance avec le Fils." Nous retrouvons ce dignitaire ecclésiastique au chap. XXVIL.
(2) De bonne heure, en Ethiopie "tout citoyen qui avait à solliciter une faveur ou à réclamer un droit dut se dire l'esclave de l"Empereur" (Arn. D' Abbadis, Douze ans..., p. 130.).
(3) Cf. supra, p. 63, n. 4.
(4) On a déjà vu et l'on verra mieux encore plus loin (chap. XXVIII) combien l'auteur est hostile à cette secte. Son affirmation est donc fort suspecte.
(5) La flagellation appliquée avec un grand fouet en peau d'hippopotame appelé djiraf est une peine prévue dans le Fetha-Neguest et encore fréquemment employée en Ethiopie; elle entraîne parfois la more (Plowden, Travels..., pp. 96-97; Cecchi, t. I, p. 363; Bianchi, Alla terra des Galli, p. 72; Hentze, Am Hofe des Haisers Menelik, pp. 100-101). C'est aussi un châtiment domestique infligé sur l'ordre d'un maître à ses serviteurs, mais, en ce cas, l'instrument employé (alènga) est moins redoutable( Borelli, Ethiopie mérid, pp. 137 -138, fig.).
(6) Amba dans le district de Morét. En 1870, Ménélik y fut faire des travaux de fortification (Massaia, ouv. cit., t. X. pp. 10-11 et 17, avec une vue de cette espèce de promontoire montagneux).
(7) Cf. supra, p. 10 n. 4.
(8) Pluriel de dèbtèra, mot qui, d'après Dillmann (Lexicon..., col. 1106), viendrait de difteraï (litterae) et que nous traduirons plus loin par lettré. Ces clercs, qui ne reçoivent pas l'ordination et dont douze sont attachés à chaque église, ont pour fonction de chanter en choeur, d'exécuter les danses sacrées, de composer des hymnes (Rochet d'Hericourt, Second voyage..., pp. 219 et 223; Ant. D'Abbadie, L'Abyssinieet le roi Theodore, pp.17-18; Stern, Wanderings..., p. 308).
(9) Les Abyssins l'appellent le "samedi aboli" (qudamié sèour), parce que la résurrection du Christ a mis fin à la pratique du sabbat (M. Parkyns, ouv. cit., t. II, p. 88). Ce jour-là, le clergé présente aux fidèles des joncs bénits dont chacun, y compris le roi, s'entoure la tête après les avoir fendus; cette coutume se serait instituée en souvenir du rameau d'olivier rapporté par la colombre de l'arche (Rochet D'Hericourt; Second voyage..., p. 235.) Dans la matinée, le clergé des églises vient exécuter devant le roi des danses liturgiques accompagnées "d'hymmes hyperboliques" composées à son intention par les lettrés (Rochet D'Hericourt, ouv. cit, pp. 230-235, avec de curieux exemples de ces cantates.) Ces chants sont ponctués par les mots: Guèbrè sèlam bè mèsqèlou, c'est-à-dire: "Il nous a apporté le salut par sa croix", d'où le nom de Guèbrè-sèlam donne à la cérémonie. On trouvera une pittoresque description de celle-ci, telle qu'elle se célèbre encore aujourd'hui au guebi imperial dans H. Le Roux, Chez la reine de Saba, pp. 270-284. Voir aussi notre pl. VIII.
(10) Rappelons que c'était là le nom de baptême de Ménélik.

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